Casanova
- Caroline
- 21 janv. 2024
- 9 min de lecture
Spectacle de Red Canzian, Matteo Strukul et Miki Porru
Année : 2022
Pays : Italie
Cast d'origine : Gian Marco Schiaretti (Casanova), Angelica Cinquantini (Francesca), Gipeto (Il Inquisitore), Manuela Zanier (La Contessa), Paolo Barillari (Frate Balbi), Roberto Colombo (Zago), Jacopo Sarno (Alvisse et autres), Chiara Famiglietti (Gretchen), Rosita Denti (Rosa), Francesca Innocenti (Elena/Colombina)
En bref
De retour à Venise, mis au défi par la Contessa von Steinberg, l’incorrigible séducteur Casanova doit séduire la jeune Francesca Erizzo mais finira par en tomber amoureux.
Mon avis
Casanova est le premier spectacle que j’ai vu en Italie. Je ne parle pas un mot d’italien, et ne connaît pas les codes du théâtre à l’italienne, ce qui peut biaiser mon avis. Cet article contient des détails et spoilers mineurs sur le spectacle.
Casanova est un spectacle composé par Red Canzian, que je connaissais absolument pas, mais qui, si je me fie à l’augmentation significative du volume sonore lorsqu’il est apparu sur scène à la fin du show, est archi connu en Italie. Chanteur et bassiste du groupe Pooh, il est plutôt orienté pop rock ce qu’on ressent très très fort dans les chansons du spectacle. Les paroles sont écrites par Miki Porru, avec qui Red Canzian a l’habitude de travailler puisqu’il a coécrit les paroles de ses chansons à plusieurs reprises. Le livret est quant à lui de Matteo Strukul, un écrivain italien qui a écrit un livre sur Casanova. Bref, si on fait le bilan, pas grand monde de familier avec le monde de la comédie musicale, et ça se voit !
Musicalement, ce sont des chansons qui s’écoutent assez bien hors du contexte du spectacle, pour peu que ce soit le style de musique qu’on apprécie. Dans le cadre du show, je m’attendais à ce que ça tombe dans le piège dans lequel de multiples spectacles français sont tombés, à savoir aligner des morceaux qui ne racontent pas grand-chose. Dans la réalité, ce n’est pas vraiment le cas, j’ai été agréablement surprise. L’ensemble est musicalement cohérent, et à l’exception d’un ou deux morceaux, je réécoute l’album assez régulièrement. On regrettera cependant l’absence de tableaux d’ensemble (non, je ne considère pas que les danseurs qui lip syncent sur la bande son puisse être qualifié d’ensemble, mais on y reviendra). Beaucoup (trop) de soli, des duos sympathiques mais parfois trop nombreux (au total, on a quand même 5 chansons Casanova/Francesca !!). Pas assez d’harmonies, c’est souvent « l’un.e chante un couplet/une phrase, l’autre lui répond et quand ça chante ensemble, c’est à l’unisson », surtout dans le premier acte, c’est dommage.
Niveau livret et narration, c’est bien simple, rien ne va. Je ne pourrai pas juger la qualité d’écriture des dialogues, vu que je n’ai pas compris un traître mot de ce qui se disait sur scène. En faisant quelques recherches sur l’équipe créative pour cet article, j’ai lu des commentaires sur le roman de Matteo Strukul sur lequel le spectacle est basé. Un certain nombre n’étaient pas très élogieux, qualifiant son histoire de brouillonne et superficielle, donc il n’est pas si étonnant que le livret du show donne la même impression. L’histoire n’a aucune consistance, il suffit de lire mon résumé, l’argument est digne d’un (mauvais) roman young adult ! Alors on est censé avoir une intrigue pseudo-politique en trame de fond mais qui n’est pas assez développée. J’ai lu des choses dans le programme que je n’avais pas percuté du tout en voyant le spectacle, et pour le coup, je ne pense pas que ce soit dû à la barrière de la langue. Il n’y a aucune recherche, aucun travail au niveau des personnages ou de la narration : le personnage d’Alvisse est tellement caricatural qu’il en devient gênant, on ne comprend les motivations de la Contessa qu’au cours de l’Acte 2, on fait apparaître un personnage principal aux 2/3 du spectacle, on file une chanson entière en début d’acte 1 à un personnage qu’on ne reverra plus du tout du reste de l’histoire … Chaque acte est introduit par un petit texte, très Gérard Presgurvicien ; si ça peut se concevoir sur l’acte 1 histoire de planter le décor, je ne vois pas l’intérêt sur l’acte 2, surtout que si j’ai bien compris, les éléments de contexte racontés n’apportent pas grand-chose à l’histoire. La mise en place de l’acte 2 est d’ailleurs assez maladroite, le tableau du Grand Bal n’a pas spécialement lieu d’être en l’état. Il aurait été plus intéressant de le scinder en deux avec une saynète Francesca/Casanova au milieu tout en gardant les danseurs qui évoluent autour d’eux. Surtout qu’on nous ressort un second tableau de bal/carnaval au milieu du même acte ! Pour celui là, on sent qu’ils se sont dit « allez, on met le paquet ! » : les danseurs, un numéro dans un cerceau, des gerbes d’étincelles qui sortent de scène … un peu kitsch, mais un petit effet « wow » quand même.
Visuellement, il y aurait eu moyen de faire quelque chose de vraiment chouette, mais c’est globalement assez pauvre. Tout ou presque repose sur des projections en toile de fond. Alors elles sont de bonne qualité, là n’est pas le souci, mais il aurait fallu les accompagner de décors en dur pour enrichir le tout. On a quelques meubles et accessoires qui se battent en duel, et dont la mise en place et le rangement sont très laborieux. C’est quelque chose qui est gommé sur la version filmée, mais je me souviens très bien qu’en live, ça manquait cruellement de fluidité. Par conséquent, le plateau paraît affreusement vide, et ça dessert parfois la mise en scène. Je pense notamment au « Tema ai Piombi », interprété sur l’album uniquement par le personnage de Casanova. Dans la version scénique, ils font intervenir Francesca en seconde voix, un peu à la manière de Juliette sur « Sans elle » dans Romeo et Juliette. J’adore l’idée, mais qu’est ce que Francesca a l’air gourde à apparaître à cour juste en marchant pour gagner sa place puis repartir par le même chemin ! Si on avait eu des vrais décors, on aurait pu la faire apparaître au milieu de ceux-ci, avec un jeu de lumière, un truc un peu moins basique quoi !
Et on ne peut même pas dire qu’on meuble le vide avec le corps de ballet, puisqu’ils ne sont que 10 !! Faites-en un vrai ensemble, qui chante, avec au moins 6 à 8 personnes de plus, dont un ou deux pourraient être des comédiens (ce qui éviterait de filer 3 rôles différents au même artiste …) et là ça commencerait à ressembler à quelque chose. Et on pourrait se passer de cette scène gênante du Carnaval où, pour donner une impression de foule, chaque danseur.euse arrive sur scène avec une grande silhouette en carton dans chaque main, que je soupçonne de représenter des gens de l’équipe créative. Il y a quand même quelques chouettes idées : j’ai beaucoup aimé le tableau du « Tema Castello di Bolzano », avec la Contessa qui se démultiplie pour faciliter sa fuite, le rendu est vraiment bien. La scène de combat à l’épée dans l’acte 1 était bien conçue également, avec le rythme de claquement des lames calqué sur le tempo de la musique.
Niveau costumes, ça passe, hormis quelques points de détail comme le masque de Casanova sur le tableau de rencontre avec Francesca ou le maquillage des prostituées sur le tableau de fin d’acte 1.
Pour ce qui est des interprètes, un niveau global très bon, avec quelques jolies découvertes.
Francesca Innocenti est bien mignonne, et chante très bien, mais ses deux personnages ont zéro intérêt. Je ne peux pas m’empêcher de faire un parallèle avec Merwan Rim dans Mozart, qui interprétait lui aussi deux rôles, dont l’un sert juste à planter un décor et l’autre catalyse une prise de conscience chez le personnage principal. Dans les deux cas, de très bons interprètes avec des belles voix mais dont la place de leurs personnages dans la narration est discutable.
Même constat pour Rosita Denti. Soyons bien clairs : je l’ai trouvée magnifique et elle est très très talentueuse mais le personnage de Rosa ne sert absolument à rien ! On la voit durant 5 minutes à l’acte 1, elle réapparaît 3 minutes au milieu des prostituées en fin d’acte et basta ! Et pourtant, on lui a filé une chanson entière, cherchez l’erreur ! Certes, ça permet de l’entendre chanter (et de constater que sa voix est bien trop sous exploitée), mais ce temps aurait pu être consacré à explorer les motivations d’autres personnages comme l’Inquisiteur ou la Contessa. Ou alors, il aurait fallu carrément prendre une autre direction pour le personnage, du genre une fonction de facilitatrice de l’histoire entre Casanova et Francesca un peu à la Eponine, ou alors de narratrice/conscience comme Isabel dans Don Juan.
Jacopo Sarno est la doublure de Casanova. Hormis ça, il joue à la fois un poivrot dans la scène de la taverne, Alvisse, qui est le boyfriend de Francesca et celui qui va aider Casanova à se tirer de prison. Quand je parlais des personnages caricaturaux, je pensais notamment à celui d’Alvisse. Casanova est un séducteur, donc normalement, un très bel homme ou en tous cas, un homme avec beaucoup de charme. Le fait que le fiancé de la pauvre Francesca soit un boulet enlève tout intérêt, où est le challenge pour Casanova ? Alors qu’un chéri qui a de la prestance aurait donné du relief à cet arc et permis une configuration comme celle Raphaël/Don Juan dans le spectacle du même nom. Cela aurait rajouté un peu de piment sur la scène du duel, où j’aurais adoré que l’aspect confrontation se ressente aussi dans la structure du morceau, avec des sections chantées ensemble sur 2 voix, plutôt que juste un couplet chacun son tour, ce que j’ai trouvé assez plat …
Roberto Colombo joue Zago. Oui, et donc ? Encore un personnage dont le développement est inexistant et dont on aurait pu se passer, je n’ai strictement rien à en dire …
Chiara Famiglietti interprète Gretchen, la domestique de la Comtesse, personnage un peu transparent malheureusement. Je préfère la voix de Rosita Denti donc c’est pour ça que je suggérais une refonte de son rôle plutôt qu’une suppression complète 3 paragraphes au dessus, mais la vérité, c’est que ça aurait fait plus de sens sur le personnage de Gretchen. Lui donner un rôle d’intermédiaire entre les deux amoureux, tout en trahissant sa maîtresse aurait donné un peu de corps au personnage et l’aurait rendu plus intéressant.
La voix de Gipeto a un grain vraiment très particulier, et colle parfaitement à un personnage de méchant. J’aurais aimé un duo entre lui et la Contessa, histoire d’explorer un peu plus leur alliance, complètement ignorée dans l’acte 1 et qui semble arriver de nulle part à l’acte 2. J’ai un peu un goût d’inachevé concernant son personnage, je pense qu’il y avait moyen de faire quelque chose de plus abouti mais le rendez vous est manqué.
Même constat pour Manuela Zanier, qui chante vraiment bien, et dont le timbre se démarque par rapport à celui des autres interprètes féminines. Là aussi, mettre en avant seulement le côté nympho du personnage de la Contessa pour ne laisser que deviner des motivations politiques trop tard, je trouve ça dommage.
Angelica Cinquantini joue Francesca. Souvent, les personnages de jeunes premières ont le don de profondément m’exaspérer et Francesca Erizzo n’échappera pas à la règle. Est-ce une mauvaise direction d’acteur ou un choix hasardeux de la part d’Angelica, mais pourquoi, sur le tableau de la rencontre, ce décalage entre ce qu’elle chante (je ne vais pas tomber dans le panneau, vous êtes un séducteur) et ce qu’elle dégage (t’es trop beau, je t’aime, épouse moi !) ? Ca n’a aucun sens ! Et vocalement, j’ai vraiment un souci de technique avec elle. Heureusement qu’elle n’a pas eu à chanter ce rôle 8 fois par semaine pendant des mois comme à Broadway car sa voix n’aurait jamais résisté ! J’en ai eu mal pour elle à chaque fois que je l’ai entendue chanter le « Tema di Francesca » !
Et pour finir, c’est donc Gian Marco Schiaretti qui porte le rôle titre du spectacle. C’est pour lui que j’ai fait le trajet jusqu’à Milan car j’avais envie de l’entendre chanter un peu plus que sur Moulin Rouge. Vocalement, il est clairement au dessus de tous les autres, c’est un technicien de fou et il est impressionnant de maîtrise et de puissance. Sans avoir la profondeur d’un rôle shakespearien, je suis contente que le personnage ait eu assez de consistance pour lui permettre d’en exprimer plusieurs facettes, sinon je serais restée sur ma faim. Un peu comme Alexandre Faitrouni quand on lui donne autre chose que des rôles de comique, je n’aime jamais tant Gian Marco que quand il joue des personnages un peu torturés, plus profonds. Le highlight du spectacle pour moi est la partie « Tema straziante » avec l’enchaînement sur le « Tema incubo notturno ». Rien que la note de fin valait le déplacement en Italie et j’ai été très étonnée d’entendre qu’il en avait encore suffisamment sous le pied pour balancer un petit opt-up sur la version du DVD.
J’ai eu toutes les peines du monde à rédiger cet article tellement j’avais l’impression de tirer sur l’ambulance. Je ne peux pas m’empêcher de me dire que je suis un peu injuste à vouloir attendre une qualité équivalente à celle d’un spectacle de Broadway ou Londres quand ce n'est pas l'objectif premier de ce spectacle. Finalement, ce n’est pas moins mauvais que certains spectacles blockbusters français qu’on a vu ces quinze dernières années. Gardons-en le positif, à savoir un casting d’excellente qualité, un univers musical homogène, un très beau travail vidéo même si omniprésent. Ce spectacle a un certain potentiel, mais je pense que ce qui lui a manqué dans sa construction est peut être une vision de quelqu’un de plus familier dans l’univers du spectacle musical. Le cœur de cible était probablement non pas les passionné.e.s de comédie musicale mais bien les fans de Red Canzian, et dans ce cas, le contrat est rempli, le public était debout à la fin de chaque représentation et la troupe a reçu une ovation dans chaque ville. Je suis curieuse de voir maintenant si la vie de ce spectacle continuera au delà des frontières italiennes et quel accueil lui sera fait ...
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